Le marché du travail à travers le prisme De Wever I
Le gouvernement De Wever I prévoit des réformes majeures pour le marché du travail belge, visant un équilibre entre sécurité, protection sociale et flexibilité. Les secteurs de l’intérim et des soins de santé sont confrontés à des défis et opportunités. Éclairage avec plusieurs experts du secteur.
L’accord de coalition fédérale de De Wever I prévoit des réformes de grande envergure pour le marché du travail belge. L’une des mesures les plus débattues sur NextConomy est la consultation des partenaires sociaux en vue d’élaborer un cadre pour les clauses de non-recrutement dans le secteur de l’intérim. De plus, selon l’accord de coalition, le recours au projectsourcing dans le secteur des soins de santé sera découragé.
Les clauses de non-recrutement dans le secteur de l’intérim
Leen Verwimp, Unit Manager chez Express Medical, n’est pas opposée à l’introduction d’un cadre juridique équitable : « Nous adhérons pleinement à l’idée d’une juste rémunération pour la sélection de profils de qualité dans le secteur de l’intérim. Parallèlement, nous estimons qu’il est essentiel de mettre en place des mesures pour prévenir les pratiques contraires à l’éthique. Ce cadre doit garantir que les agences d’intérim ne soient pas seulement rémunérées équitablement pour leur travail, mais aussi que les intérêts des demandeurs d’emploi et des employeurs soient préservés de tout abus. »
Cependant, Sidney Ameel, directeur de Caresquare, considère que la prise de décision politique présente un risque : « Il existe un risque que les lobbies sectoriels influencent les réglementations relatives aux clauses de non-recrutement. L’équilibre entre la prévention des abus et la durabilité du travail intérimaire pourrait s’en trouver encore plus ébranlé. »
Hanna Goemans, CEO de ClickCare, porte également un regard critique sur la mesure : « ClickCare n’est pas une agence d’intérim, mais nous comprenons l’intérêt de cette mesure. Les entreprises investissent dans leur réseau et leur personnel. Mais si les frais de recrutement sont supprimés, cela entraînera une diminution du recours à l’intérim, au freelance et au projectsourcing. La flexibilité du secteur de la santé pourrait alors être encore plus limitée. »
Sidney Ameel s’interroge également sur la mise en œuvre concrète de ces règles : « Il est indispensable de mettre en place des cadres clairs qui empêchent les abus sans pour autant paralyser davantage le secteur. Nous ne devons pas tomber dans une surréglementation qui pourrait nuire à la flexibilité du marché du travail. »
Le projet sourcing dans la santé : une menace pour la flexibilité ?
L’accord de coalition prévoit également de décourager le recours au projectsourcing dans le secteur de la santé. Une situation qui soulève de nombreuses questions pour les prestataires de talents externes.
Leen Verwimp souligne que l’intérim peut être une alternative plus durable : « Chez Express Medical, nous travaillons volontairement sur base d’intérims à durée illimitée depuis 2019. Ce qui garantit des conditions de travail équitables et transparentes et assure la continuité des soins. »
Mais l’inquiétude subsiste quant à l’impact de cette mesure. Sidney Ameel met en garde : « Le projectsourcing ne devrait pas être la solution aux pénuries structurelles, mais limiter les formes de travail flexibles ne résoudra pas les problèmes. Parcontre, le recours à une expertise temporaire, pour gérer les pics de travail et les processus de changement par exemple, pourrait faire partie de la solution. »
Hanna Goemans souligne la liberté de choix dont disposent les professionnels de la santé : « Les professionnels des soins choisissent souvent consciemment le projectsourcing ou le freelancing. Et pas en réponse à un manque de contrat à durée indéterminée. Si cette option est supprimée, beaucoup quitteront le secteur de la santé au lieu d’accepter un emploi permanent. »
Les professionnels des soins choisissent souvent consciemment le projectsourcing ou le freelancing. Et pas en réponse à un manque de contrat à durée indéterminée. Si cette option est supprimée, beaucoup quitteront le secteur de la santé au lieu d’accepter un emploi permanent.
D’autre part, Leen Verwimp s’interroge sur la faisabilité de la mesure : « Comment le gouvernement fédéral compte-t-il introduire ces mesures sans exercer de pression supplémentaire sur le secteur des soins de santé ? On observe déjà une importante fuite de personnel, avec un taux d’absentéisme élevé pour cause de maladie. Des règles plus strictes en matière de contrats temporaires risquent d’aggraver la situation.”
Que signifient ces mesures pour l’avenir du secteur de la santé ?
Selon Leen Verwimp, les dispositions de l’accord de coalition fédérale présentent à la fois des avantages et des risques. Points positifs :
- La promotion de l’intérim à durée indéterminée
- Plus d’attention pour de bonnes conditions de travail et l’attractivité du secteur
- Des investissements supplémentaires dans les soins de santé
- Des opportunités supplémentaires de formation continue et de développement de carrière
Cependant, elle voit également des risques :
- L’impact de règles plus strictes concernant les contrats à durée déterminée dans un secteur où le taux de roulement et l’absentéisme sont élevés
- La fermeture prévue des hôpitaux la nuit, qui pourrait inciter les collaborateurs ayant choisi de travailler de nuit à démissionner
- Le risque d’un marché des soins rigide en raison d’une limitation des formes de travail flexibles
- L’incertitude des mesures juridiques attendues pour le personnel infirmier actuellement en mode projet-sourcing
- La crainte que l’accent mis sur les contrats à durée indéterminée n’offre pas de solution à la pénurie de personnel
Hanna Goemans insiste sur l’importance de la collaboration : « C’est clé. L’intérim, le freelancing et le projectsourcing contribuent tous au succès du secteur de la santé. Au lieu d’imposer des restrictions, nous devons chercher à combiner intelligemment les différentes formes de travail. »
La collaboration est clé. L’intérim, le freelancing et le projectsourcing contribuent tous au succès du secteur de la santé. Au lieu d’imposer des restrictions, nous devons chercher à combiner intelligemment les différentes formes de travail.
Sidney Ameel met également en garde contre les réglementations supplémentaires susceptibles d’avoir un impact négatif : « Le secteur de la santé a besoin de toutes les formes de travail. Restreindre une option ne renforcera pas automatiquement l’autre. Il faut rechercher des solutions durables, en gardant l’esprit ouvert sur l’avenir. »
Quel est le point de vue de la fédération sectorielle Federgon ?
Le recours aux intérimaires, au personnel issu du projectsourcing et aux freelances dans le secteur de la santé suscite la controverse. Selon Paul Verschueren, directeur research & economic affairs chez Federgon, une grande partie de ces critiques reposent sur des malentendus et des casuistiques. « L’idée que les prestataires externes « attirent » les professionnels de la santé pour les faire revenir dans les mêmes établissements en tant qu’indépendants, intérimaires ou projectsourcing est largement répandue. De tels cas existent, mais ils sont anecdotiques et ne constituent en aucun cas la règle. Ils détournent l’attention d’une discussion constructive sur la place de ces dispositifs dans le secteur de la santé. »
Paul Verschueren adhère donc à la déclaration de Hanna Goemans, selon laquelle de nombreux professionnels de la santé choisissent consciemment d’être maîtres de leur carrière. « Ils ne veulent pas nécessairement travailler en CDI et recherchent plus de flexibilité », explique-t-il. « Ils sont salariés d’un prestataire externe qui répond mieux à leurs besoins et à leurs ambitions. »
Pourtant, de nombreux établissements de santé considèrent cette situation comme un obstacle. « C’est le résultat d’une vision plutôt dépassée du travail et des carrières », explique-t-il. « Dans un secteur confronté à une grave pénurie de personnel, nous devrions donner aux gens la liberté de choisir le type de travail qui leur convient le mieux. »
La vision de Federgon est claire à propos des clauses de non-débauchage. « Si un établissement de santé souhaite embaucher directement des intérimaires ou des travailleurs projectsourcing, une indemnité de débauchage devra être payée. Cette compensation tient compte de la période écoulée et est déterminée contractuellement par les parties. Cette mesure empêche les prestataires externes d’être « dépouillés » et garantit une coopération équilibrée entre toutes les parties.
Selon lui, l’affirmation selon laquelle les intérimaires ou les freelances coûtent deux fois et demie plus cher est tout simplement fausse. « La rémunération des intérimaires est basée sur le principe de l’utilisateur-payeur, c’est-à-dire selon les barèmes officiels. »
De nombreux groupes de soins de santé ont eux-mêmes leur mot à dire sur le niveau des salaires par le biais d’appels d’offres publics. « Ils se plaignent des coûts, mais ils déterminent eux-mêmes les conditions. »
Pour Paul Verschueren, la solution est évidente : « Vous ne trouverez pas de personnel supplémentaire en interdisant le travail flexible. Un groupe de soignants veut prendre en main sa carrière et aujourd’hui, c’est lui qui mène la barque. Laissons-les donc choisir leur mode de travail. Il s’agira de trouver un équilibre entre les aspirations et les attentes des soignants et des établissements de santé. C’est la seule façon de remédier durablement à la pénurie de personnel. »
Vous ne trouverez pas de personnel supplémentaire en interdisant le travail flexible.
Affaire à suivre…
Selon ces experts, une approche globale est indispensable pour renforcer réellement le secteur de la santé. Dans les mois à venir, nous verrons comment le gouvernement fédéral concrétisera les mesures susmentionnées. Quoi qu’il en soit, le secteur reste vigilant et demande à être consulté pour une mise en œuvre réfléchie.
À lire également: