Appel aux politiciens : laissez la Tech déterminer l’avenir de notre politique du marché du travail
En cette année électorale, les citoyens vont devoir faire des choix importants pour l’avenir de leur pays, de leur région et de leur commune. Nous avons rencontré Vickie Dekocker, Senior Expert Education & Labour Market chez Agoria. L’experte défend l’idée qu’une approche différente du marché du travail et de la politique de l’emploi doit devenir une priorité politique.
Qu’attendez-vous de nos gouvernements fédéral et régionaux ?
Que, d’une part, ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour accroître et pérenniser l’emploi et, d’autre part, qu’ils rendent possible une augmentation significative de notre productivité via l’IA et les nouvelles technologies. La Belgique et assurément la Flandre doivent avoir l’ambition de redevenir une zone de savoir-faire de premier plan dans certains secteurs. Nos acteurs du marché du travail doivent aussi oser évoluer.
Agoria a préparé son mémorandum en vue de cette année électorale. Vous y présentez « l’innovation technologique » comme le moteur de notre bien-être. Comment l’appliquez-vous à notre marché du travail ?
Il me paraît essentiel que la politique à venir conserve ou mette en place suffisamment de moyens pour poursuivre le renforcement du taux d’emploi, qui est déjà élevé. Il faut par ailleurs tenir compte du fait qu’une plus grande utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et de la technologie risque d’affecter sensiblement la nature du travail et le taux d’emploi.
Dans le discours politique actuel, le pourcentage croissant du taux d’emploi fait l’objet d’un grand nombre de messages rassurants et motivants. À juste titre, car le travail offre un mode d’occupation du temps organisé et a bien d’autres fonctions que le simple fait de gagner un revenu.
Toutefois, nous devons également tenir compte du fait qu’en Flandre, nous nous approchons du plein emploi. Nous devons donc nous demander comment, sans disposer des réserves de main-d’œuvre nécessaires, nous pouvons continuer à augmenter notre productivité.
Il faut tenir compte du fait qu’une plus grande utilisation de l’intelligence artificielle (IA) et de la technologie risque d’affecter sensiblement la nature du travail et le taux d’emploi.
Vous pensez donc à la migration économique ?
C’est une piste de réflexion. Mais au-delà de cette idéologie entre migration économique et intégration, je me demande dans quels secteurs il est opportun d’attirer des profils spécifiques à un autre endroit et de les déployer ici. Faut-il recruter de la main-d’œuvre extérieure pour des emplois non ou peu qualifiés s’il y a encore des demandeurs d’emploi ou des personnes inactives que l’on peut orienter vers ces emplois ? Ou si les demandeurs d’emploi de Bruxelles ou de Wallonie peuvent occuper ces emplois en s’installant en Flandre ? Agoria Vlaanderen plaide en faveur d’une migration économique ciblée qui attire les talents étrangers uniquement dans les secteurs où il existe une réelle pénurie structurelle, comme les profils IT et les ingénieurs.
En revanche, et surtout en parallèle, nous demandons de fermer les vannes à la fin du marché du travail et de garantir que les personnes restent actives plus longtemps sur le marché du travail et ne le quittent donc pas prématurément. Pour y parvenir, autant privilégier l’aptitude au travail en le rendant moins exigeant sur le plan cognitif et/ou physique. Des technologies adéquates peuvent également être utilisées à cette fin.
Pouvez-vous donner quelques exemples pratiques ?
Certainement ! Pensez aux solutions « Industrie 4.0 » visant à réduire la charge cognitive grâce à des instructions de travail numériques, à des simulations VR/XR pour augmenter la courbe d’apprentissage, à des cellules de travail collaboratives, à une ergonomie basée sur des capteurs, à la détection des problèmes de santé basée sur les données ou à l’utilisation d’exosquelettes, de manipulateurs et d’aides au levage.
Agoria Vlaanderen préconise l’utilisation de tous les instruments stratégiques pour promouvoir l’implémentation de ces diverses solutions technologiques.
Qu’entendez-vous par instruments politiques ?
Dans le cas des chèques d’employabilité, par exemple, la priorité est donnée à la cartographie des postes de travail. Plus précisément, les questions qui se posent sont les suivantes : quels sont les emplois les plus stressants, quelle tâche est la plus stressante ? Mais l’étape concrète de mise en œuvre de ces solutions est bien trop rarement franchie. Pour éviter qu’une avalanche d’enquêtes de ce type ne se retrouve dans les armoires, autant aller directement sur le terrain.
C’est la rentabilité qui en est gratifiée. Comment cela est-il censé fonctionner ?
Eh bien, nous pensons que « mettre plus de gens au travail » n’est pas la seule solution. Rendre les personnes sur le marché du travail plus productives, aussi. Songez à une meilleure organisation du travail : à la fois au niveau macroéconomique et de l’entreprise. Vous disposez aujourd’hui d’une cartographie parfaite des fonctions et/ou des rôles que vous pouvez remplir avec une efficacité et une efficience supérieures. Soit en séparant les parties répétitives ou physiquement trop lourdes de ces emplois et en les faisant exécuter 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 par des robots avec un taux d’erreur plus faible.
Il nous faut donc identifier les (sous-)secteurs où vous pouvez réaliser d’importants gains de productivité en déployant davantage de technologies pour diviser les tâches existantes. Nous devrions vraiment oser adopter l’automatisation ciblée. Tant dans les secteurs à faible productivité que dans les fonctions où les gains de productivité sont les plus importants.
Il faut identifier les (sous-)secteurs où vous pouvez réaliser d’importants gains de productivité en déployant davantage de technologies pour diviser les tâches existantes.
Nous souhaitons ensuite investir davantage dans nos collaborateurs, en profitant des disponibilités ainsi créées. Cela peut se faire en associant des programmes d’innovation à des programmes de développement des talents dans ces secteurs. Les nouvelles technologies, telles que la technologie des batteries ou l’hydrogène, arrivent à grands pas et trouveront leur place dans les différents maillons de la chaîne de valeur.
Nous appelons les pouvoirs publics à oser faire des choix audacieux pour devenir un leader dans certaines nouvelles technologies et pour faire de notre pays un acteur majeur dans ce domaine. Ce processus implique un engagement en faveur d’un programme d’innovation et d’un autre de promotion des talents. Une approche ciblée permettra donc à notre pays de bénéficier de nouveaux investissements et de nouveaux talents tout en stimulant ses exportations.
À la fois au niveau macroéconomique et de l’entreprise, vous pouvez aujourd’hui parfaitement identifier les fonctions et/ou les rôles à accomplir avec plus d’efficacité et d’efficience.
Tout cela exige-t-il une certaine flexibilité mentale et une volonté de changement de la part de nombreuses personnes ?
Oui. Nous trouvons particulièrement regrettable que les structures élémentaires du droit du travail, de la sécurité sociale et de la concertation soient vraiment figées, au point de refuser de limiter les allocations de chômage dans le temps, par exemple. Hélas, sur le plan des structures, nous ne sommes pas prêts aujourd’hui à travailler avec d’autres règles du jeu, plus technologiques, ni à organiser le travail.
Une question, toutefois, nous taraude : le temps de travail productif peut-il et doit-il rester la seule unité de calcul du salaire ou faut-il prendre en compte d’autres paramètres tels que le pécule de vacances ? Car il faut être bien conscient que l’intelligence artificielle et d’autres technologies font leur entrée définitive comme coproductrices dans l’entreprise. Apprendre à gérer cette évolution technologique permanente fait qu’il est plus que souhaitable de commencer à considérer le « temps de travail productif » d’une manière totalement différente.
Une analyse passionnante. Enfin, comment traduiriez-vous politiquement ces grands défis pour les prochaines élections ?
La question clé pour les prochaines élections n’est pas seulement l’homogénéisation des compétences autour des stratégies du marché du travail, mais surtout celle-ci : nos prochains gouvernements auront-ils la capacité et le courage de repenser les fondements de nos institutions du travail et de définir durablement des stratégies du marché du travail tournées vers l’avenir ?
Nos prochains gouvernements seront-ils capables et auront-ils le courage de repenser les fondements de nos institutions du travail et d’élaborer durablement une politique du marché du travail porteuse d’avenir ?
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