« The future of work » vu par la FEB : où sont les freelances ?
Eh bien, nulle part. Nous avons assisté au séminaire « The Future of Work – Stratégies pour la transition numérique » organisé par la Fédération des Entreprises de Belgique. Nous avons lu en détail le rapport complet de cet événement, avec ses résultats d’études, ses chiffres, ses analyses. Le contenu était intéressant, le travail accompli semble minutieux, mais il n’aborde jamais la question du freelancing.
Les chiffres et ce qu’ils disent
Quand une institution aussi reconnue dans le paysage de l’emploi que la FEB se penche sur l’avenir du travail sans jamais évoquer la Talent Economy ni les freelances, c’est contrariant. C’est inquiétant aussi. Mais plusieurs points intéressants se dégagent malgré tout et ont le mérite d’ouvrir des pistes de réflexion. Notamment à propos des défis pour tous les travailleurs du royaume (ou presque) amenés à se réinventer régulièrement.
La digitalisation s’impose depuis plusieurs années. Une évidence qu’il faut intégrer aux réalités du monde de l’emploi, et les chiffres de la FEB sont sans appel : entre 2016 et 2021, grâce à la croissance économique, la Belgique comptait – pour la première fois de son histoire – 5.060.000 personnes actives. Une bonne nouvelle donc. Et elle n’arrive pas seule : d’ici 2030, la FEB prévoit la création de 351.000 nouveaux emplois qui seront de toute évidence liés au digital.
Une Belgique à la traîne ?
En revanche, Jeroen Franssen, Senior labor market expert chez Agoria, nous ramène les pieds sur terre en changeant la perspective : toutes ces jolies évolutions belges restent malgré tout « à la traîne par rapport à la croissance d’emplois moyenne en Europe. » Bien que nous nous réjouissions de ces 351.000 emplois, Jeroen Franssen nous rappelle que 126.000 autres emplois vont disparaître. Sur le même laps de temps. Notamment pour s’adapter aux évolutions numériques. À titre d’exemple, 50.000 emplois administratifs n’existeront plus d’ici 2030.
Les entreprises devraient proposer des modalités de travail plus souples pour attirer de nouveaux candidats au lieu de se limiter à une image idéalisée d’un candidat sur mesure.
Dans ce contexte, la FEB veut mettre l’accent sur les personnes inactives. « Aujourd’hui, il y a 210.000 offres d’emploi pour moins de 300.000 demandeurs d’emploi. Il faut que les inactifs soient mieux soutenus dans l’enregistrement de leurs compétences, les entreprises devraient proposer des modalités de travail plus souples pour attirer de nouveaux candidats au lieu de se limiter à une image idéalisée d’un candidat sur mesure », propose Jeroen Franssen. Il faut donc accorder plus de place aux compétences de chacun et miser gros sur les reconversions. Et pour cela, « il nous reste encore beaucoup de boulot ! »
Démystifier l’IT
Pour y parvenir, il semble important de démystifier le monde des datas. Le numérique apparaît souvent comme inaccessible, trop pointu, trop compliqué. À ce sujet, Hélène Portegies, CHRO Allianz Benelux, rassure. « Je viens du secteur des assurances où les données ont toujours été importantes. On constate qu’il existe des postes en effet très pointus comme celui des datas scientists. Mais ceux qu’on appelle les datas stewarts réalisent des missions beaucoup plus accessibles.
Depuis quelques années chez Yuzzu, on vulgarise un certain nombre de concepts et on parle de travail ‘agile’. On mélange dans les équipes les profils différents pour enrichir et accélérer le développement. Une personne qui aura une expérience spécifique va pouvoir travailler de façon rapprochée avec une personne de l’IT. Ça favorise une accessibilité et ça donne envie d’évoluer. »
C’est alors aux entreprises de s’interroger : quels profils sont nécessaires ? Quelles seront les évolutions à venir ? Qui, dans la maison, serait capable de prendre ces rôles ? « Il est urgent d’inciter les employés à la formation, d’enthousiasmer les personnes à s’y mettre. »
La digitalisation, les transitions énergétiques et les progrès technologiques font de l’apprentissage tout au long de la vie une nécessité pour rester pertinent, tant pour les employeurs que pour les travailleurs.
La volonté d’apprendre
Dans le rapport de la FEB, Monica De Jonghe – Directrice générale et Executive Manager du centre de compétence Emploi & Sécurité sociale de la FEB, écrit d’ailleurs ceci : « La digitalisation, les transitions énergétiques et les progrès technologiques font de l’apprentissage tout au long de la vie une nécessité pour rester pertinent, tant pour les employeurs que pour les travailleurs. » Une culture de l’apprentissage essentielle dans un monde qui bouge. Une culture de l’apprentissage qu’il est donc urgent d’améliorer.
Monica De Jonghe estime qu’il s’agit d’une responsabilité partagée par trois parties : l’employeur, le gouvernement… et l’individu. Lors du séminaire de la FEB, elle insistait sur ce point. « La Belgique est dernière de la classe au niveau européen en matière de formation. Aujourd’hui, chacun a son rôle à jouer ! On constate qu’il y a un énorme décalage entre les sommes d’argent investies dans les formations, et la volonté des travailleurs d’apprendre. Seuls 17% des travailleurs se déclarent prêts à s’adapter aux nouveaux défis et à de nouvelles tâches… Alors qu’ils doivent voir cet apprentissage comme quelque chose de nécessaire pour rester pertinents sur le marché de l’emploi. Le travailleur a la responsabilité de son avenir. »
Un constat qui explique en partie que le pays soit à la traîne pour s’adapter aux réalités numériques et digitales. Mais on y voit aussi une opportunité pour les freelances qui pourront faire la différence sur le marché, drivés par leur capacité à se réinventer en continu.
Travailler hors champ
Ce dernier point, Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur invité par la FEB, l’a bien saisi. Il soulignait d’ailleurs les balises que l’on se fixe en Belgique (et dans l’ouest de l’Europe) qui cadenassent l’évolution du marché du travail. « Nous vivons dans une société qui reste ancienne et qui ne permet pas de valoriser de manière juste toute une série de compétences. Dans le monde du numérique, on trouve des jeunes qui n’ont aucun diplôme et qui sont tout à fait capables d’hacker un système. Mais il n’existe pas de procédure de recrutement qui leur permette d’être engagés par une entreprise. Les sélections sont trop formatées, elles excluent automatiquement de nombreux petits génies. Il faut laisser plus de place aux autres moyens de rencontres. »
Notre modèle de sécurité sociale n’est pas du tout adapté aux nouvelles formes de travail. Elle pousse à enfermer les employés dans des fonctions uniquement pour garder un parachute.
Il s’est dans la foulée attaqué au droit social en Belgique. « Notre modèle de sécurité sociale n’est pas du tout adapté aux nouvelles formes de travail. Elle pousse à enfermer les employés dans des fonctions uniquement pour garder un parachute. Il existe beaucoup de personnes très compétentes qui ont envie d’être autonomes et de travailler dans un secteur qui leur plaît, mais qui se brident par peur de renoncer à leurs droits sociaux et au chômage, le cas échéant. » Sur ce point, nous ne lui donnerons pas tort. Tout en reposant cette même question, qui est restée sans réponse au terme du séminaire : quelle place pour les freelances ?