"Exploring the future of work & the freelance economy"
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« Une pension décente pour les indépendants »

Pendant que ses collègues plaident en faveur d’une plus grande flexibilité du marché du travail, eux qui sont bien installés comme professeurs nommés définitivement, Stijn Baert met lui en garde contre le risque de voir surgir un marché du travail à deux vitesses.

professeur Stijn Baert

« S’il y a cinq ans vous aviez demandé à dix experts dans le domaine du travail quel était le principal problème qui touchait le marché, cinq d’entre eux auraient cité ‘le coût élevé des salaires’, et les cinq autres ‘le peu de flexibilité’. C’est même historiquement un problème pour notre pays », affirme Stijn Baert, professeur à l’université de Gand (UGent).

La flexibilité est une nécessité

Notre éminent économiste du travail constate qu’il y a eu toutefois certaines améliorations sous le gouvernement Michel, qui – même si tout n’a pas été parfait, précise-t-il – ont permis de gagner en flexibilité, grâce notamment aux mesures prises par Kris Peeters dans la loi relative au travail faisable et maniable.

« Il y a évidemment aussi le système des flexi-jobs qui s’est développé, intéressant bon nombre de gens », poursuit-il. « Un certain nombre de mesures ont bien été prises pour aplanir les principales pierres d’achoppement, mais nous sommes encore loin d’être le marché du travail le plus flexible d’Europe. »

Et Stijn Baert d’argumenter sur la nécessité d’une flexibilité du travail, car elle permet aux travailleurs de bien se positionner. Si le coût d’une rupture de contrat suite à une relation difficile est raisonnable, alors les entreprises engageront plus facilement des collaborateurs. Il faut également tenir compte des pays avoisinants qui eux connaissent plus de flexibilité – citons les entreprises néerlandaises d’e-commerce.

La flexibilité excessive n’est pas à conseiller

Militerait-il alors en faveur d’une flexibilisation à l’extrême, afin que les collaborateurs puissent être engagés sans coup férir, et que la relation de travail puisse être aisément rompue ? Bien sûr que non. « La flexibilité excessive mènerait vite à un marché du travail à deux vitesses. On aura tout un ensemble de travailleurs qui n’auront aucun problème à trouver le travail qui leur convient, qui pourront négocier leur salaire, qui connaîtront suffisamment de stabilité, qui bénéficieront de bonnes conditions de travail… Mais on aura aussi un segment de travailleurs avec des contrats de courte durée, des salaires moins élevés, et ne bénéficiant pas de conditions favorables. En cas de flexibilité effrénée du marché, vous risquez de passer à deux vitesses, et c’est ce que l’on commence déjà à observer. »

Les élections sont proches et les partis politiques annoncent leur programme, notamment en ce qui concerne le marché du travail. « Il apparaît clairement que l’Open Vld se sent concerné par le développement des flexi-jobs, certainement plus que la N-VA par exemple. C’est du reste un sujet que le ministre Philippe De Backer (Open Vld) a eu l’occasion d’aborder publiquement.  Je poursuivrais dans le sens de la flexibilité, mais sans aller aussi loin que ce qu’ils proposent. J’ai retenu des débats que leur intention était de permettre de combiner des flexi-jobs, alors qu’actuellement, un flexi-job s’entend en marge d’un emploi à temps plein. En prônant le cumul de flexi-jobs, vous allez vous diriger vers un marché du travail à deux vitesses. »

Rendre le travail d’indépendant plus attrayant

Les entreprises qui manquent de flexibilité eu égard à leurs effectifs (et qui sont confrontées à des coûts salariaux élevés), montrent de l’intérêt pour le marché des freelances. Que pense Stijn Baert d’un marché du travail freelance, comme on le laisse parfois présager ? « C’est une bonne question, qui rejoint du reste mon propos : promouvoir le travail freelance, c’est automatiquement faire le choix d’un système socialement moins sécurisé et plus en mode survival of the fittest ; un système qui va englober the haves and have-nots. Certains employeurs y trouveront certainement leur compte, peut-être même certains travailleurs, mais pour tous les autres, ce sera sûrement moins évident. »

Plutôt que de parler de boom pour les travailleurs indépendants, Stijn Baert préfère plaider pour que toute forme de travail indépendant soit plus attrayante. Ce qui va d’office profiter aux freelances. « Pensons par exemple au régime des pensions : si les indépendants ne prévoient rien pour leur pension, elle sera sans aucun doute insuffisante. Les différences rencontrées sont importantes, en particulier si l’on compare avec les fonctionnaires. Accorder une pension décente à un travailleur indépendant ayant lui aussi travaillé toute sa vie, est plus que défendable. Cela pourrait se faire par un glissement des pensions des fonctionnaires nommés définitivement, même si ce n’est pas vraiment dans mon intérêt. Les deux systèmes pourraient probablement quelque peu converger. »

Freelance journalist. Doet van horen, zien en schrijven over o.a. HR en de arbeidsmarkt. Voir tous les articles de Timothy Vermeir