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Portage salarial : indépendant dans la peau d’un employé ?

Le portage salarial, modèle de travail bien établi en France, susciterait-il un intérêt en Belgique ? Compliqué vu le caractère illicite de ce mode ultra flexible d’organisation du travail chez nous. Néanmoins, on trouve des alternatives dans la législation. Petit éclairage et rencontre d’un acteur français du portage salarial.

Le portage salarial, késako ?

En France, ce mode de travail est devenu une option de plus en plus populaire pour les travailleurs indépendants, les freelances et les consultants. Un cadre légal spécifique lui a même été dédié dès 2008, cadençant les droits et les obligations des parties prenantes (loi de modernisation du marché du travail n° 2008-596 du 25 juin 2008). “Avec la microentreprise et la SASU, le portage salarial est en France l’une des trois solutions offertes aux freelances pour facturer leur activité”, explique Bertrand Arnauld, Managing Partner chez Managers en Mission. “Et tout se fait sans les contraintes de création d’entreprise”.

Comment ça marche ?

L’entreprise de portage salarial agit en tant qu’employeur pour les freelances. Ces derniers signent un ‘contrat de travail’, devenant ainsi des “consultants portés ». “Nous avons dès lors affaire à une relation tripartite d’un professionnel qui met ses compétences au service d’une entreprise cliente, en bénéficiant des supports administratifs, légaux, fiscaux et sociaux d’une entreprise de portage salarial”, poursuit Bertrand Arnauld.

Et c’est bien là que ça coince

En Belgique, ce mode ultra flexible d’organisation du travail se heurte, dès lors, à l’interdiction de principe de la mise de travailleurs à la disposition de tiers ou d’utilisateurs prévue par la loi du 24 juillet 1987 relative au travail temporaire, au travail intérimaire et à la mise de travailleurs à la disposition d’utilisateurs. Mais continuons un instant à explorer le modèle français…

Un modèle pour tous ?

La grande majorité des métiers en France peuvent faire l’objet d’un portage salarial. Il y existe cependant quelques exceptions en raison de considérations légales, réglementaires ou tout simplement pratiques. “Les métiers assermentés comme médecin, avocat ou notaire ne permettent pas de devenir un porté salarié”, explique Bertrand Arnauld. On leur ajoutera également les architectes, les ouvriers ou encore les emplois manuels non spécialisés.

La société de portage se chargera de facturer la mission finale au client tout en salariant le freelance pendant la durée de cette mission

Une facturation aux petits oignons ?

Le portage salarial proposerait donc les « avantages » d’un job salarié (protection sociale complète, cotisation pension) tout en offrant la souplesse du statut d’indépendant ? Oui, selon l’expert français, “et la société de pportage se charge de facturer la mission finale au client tout en salariant le freelance pendant la durée de cette mission. Et ce, généralement contre 7% à 10% du chiffre d’affaires facturé par le travailleur indépendant. Le consultant porté est payé tous les mois sans attendre la fin de la prestation”. Selon Bertrand Arnauld, le salarié porté pourrait également déclarer jusqu’à 15% des montants facturés en frais de fonctionnement sur justificatif avant les charges patronales pour couvrir ses charges d’indépendants. Nuance avec un salarié.

La prise de risques sans risques ?

Toujours selon Bertrand Arnauld, la « sécurité de protection sociale » offerte aux travailleurs par le portage salarial serait vivement appréciée dans un système économique fait d’incertitudes. “Ce mécanisme leur permet de faire des projections. Si vous souhaitez vous lancer intégralement en tant qu’indépendant, si vous envisagez de changer radicalement de structure ou si une transition dans votre entreprise vous fait de l’œil, le portage salarial peut être une solution”. Une sorte de plongée dans le grand bain équipé de bouées de sauvetage ?

Midlancer et Umbrella Company

Dans un article précédent, nous avions parlé portage salarial avec Maxime Giannini (Open Work). Il nous précisait que la France est le pays où de nombreux externes sont embauchés sous le statut du portage salarial. Aux Pays-Bas, on parle de “Midlancer” et au Royaume-Uni d'”Umbrella Company”. Il apportait également sa propre définition : “le portage salarial est une technique qui vous permet de manger des deux côtés. D’une part, vous êtes salarié – ce qui vous permet de bénéficier de la protection sociale étendue qui caractérise ce statut ; d’autre part, vous travaillez comme si vous étiez indépendant : vous décidez de manière autonome pour qui vous travaillez, quelles activités vous exercez, le lieu et l’heure où vous travaillez, etc. Il s’agit donc d’un service aux particuliers (salariés qualifiés de facto), qui leur offre un cadre juridique leur permettant de travailler de manière indépendante, même si, en théorie, ils sont salariés.

Et du côté de l’entreprise ?

“C’est également tout bénef’! Lorsqu’un freelance est en mission pour une entreprise, il n’est pas considéré comme salarié puisque c’est la société de portage qui lui redistribue son salaire”, poursuit Ronald Ghuys, HRI et correspondant Benelux chez Managers en Mission. “Il n’entre donc jamais dans la masse salariale de l’entreprise”. Cette dernière ne doit pas non plus lui payer de jours de congés de même qu’elle ne s’expose jamais aux risques de requalification ou de délits de marchandage. “Et, il n’y a aucune obligation d’embauche à la fin de la mission puisque le portage salarial est une prestation de service, acceptée en droit français”.

Revenons à la situation en Belgique

Si en France, le portage salarial fait déjà partie des meubles depuis une quinzaine d’années, chez nous il pose un problème juridique. Ce modèle n’est pas autorisé par la législation. En 2020, la KULeuven et Securex nous avaient fait part de leur analyse :

  • Comment gérer la subordination (de l’entreprise de portage) et la liberté d’organiser le travail soi-même ?
  • Qu’en est-il de l’emploi fictif (requalification en tant qu’indépendant) ?
  • Qu’en est-il du détachement (interdit) ?
  • Qu’en est-il des horaires de travail ?
  • Qu’en est-il des contrats de travail à durée déterminée successifs ?
  • Quelle est la commission paritaire compétente ?

Les alternatives belges

On l’a compris, le portage salarial en Belgique c’est un No Go. Néanmoins, plusieurs législations particulières dérogent à l’interdiction dont question dans cet article. Elles constituent les alternatives du groupement d’employeurs (secteur non marchand et programmes de réinsertion sur le marché du travail) ou encore la coopérative d’activités.

Matière à réfléchir donc…

 

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Bastien Craninx
Bastien Craninx est journaliste et copywriter freelance. Affamé d'histoires à raconter et exalté par les mots et leurs sonorités, il dévoue sa plume aux sujets d'hier et d'aujourd'hui. Particulièrement intéressé par le monde de l'entreprise, il aime en décortiquer les rouages et mettre en lumière ses évolutions, ses secrets, ses nouveautés. Voir tous les articles de #Bastien Craninx