Quand les bullshit jobs et la recherche de sens mènent au freelancing
Recomposer son package d’avantages pour arriver à une relative sécurité économique. C’est le défi des freelances pointé par Laetitia Vitaud, auteure et conférencière sur le futur du travail. Mais quels sont les challenges auxquels les entreprises et les pouvoirs publics doivent faire face ?
Quand Laetitia Vitaud parle de sa propre expérience du monde du travail, elle décrit un trajet plutôt douloureux. Un début de carrière dans l’enseignement, suivi de quelques années dans le département RH d’une entreprise américaine. Avec un enchaînement de déceptions qui l’amènera à créer sa propre entreprise. « Ce parcours avec sa part de souffrance m’a servi pour créer l’emploi qui me ressemble. Ce parcours individuel est d’ailleurs le premier sujet sur lequel j’ai écrit. »
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Transformation progressive
« On a trop souvent l’impression qu’un modèle se substitue à un autre. Le modèle dominant au 20e siècle commence tout simplement à se désagréger, pendant que d’autres sont inventés », constate Laetitia. Pour l’auteure, si l’aliénation et la subordination existent toujours, les contreparties offertes au travailleur sont devenues beaucoup moins intéressantes. « Cela explique pourquoi on parle souvent de bullshit jobs, de recherche de sens et de besoin d’impact au travail. »
Définition du freelance
Laetitia remarque d’emblée que chez les anglo-saxons le terme ‘freelance’ recouvre les personnes travaillant à leur compte. « Ailleurs en Europe, on vise plutôt une catégorie de travailleurs indépendants, et non les commerçants ou les livreurs de repas à vélo (sourit-elle). Nous, nous parlons plutôt de tous ces talents numériques, intellectuels et créatifs qui œuvrent seuls, sans collaborateurs.
Pionniers de l’autonomie
Le constat est clair : les freelances représentent une catégorie de travailleurs en très forte croissance et assez hétérogène. « Cette population est en train de créer son propre monde du travail et de recomposer les contrats salariés en en soustrayant les contraintes. Elle est pionnière dans l’autonomie et est stimulée par une démarche d’apprentissage constant au profit de ses compétences. Finalement, le seul point commun des freelances est de ne pas être salariés », explique Laetitia.
Un vrai sujet de RH
Force est de constater que les entreprises utilisent massivement des freelances. « La tendance s’accélère grâce notamment aux plateformes numériques qui banalisent et donnent de la notoriété aux freelances ». Mais Laetitia note également que souvent ni les responsables RH, ni le management n’ont conscience du nombre de freelances qui composent leurs équipes. Sans parler d’intégration ou encore de transfert de compétences. « Il existe un tabou autour de l’onboarding des freelances, voire des freelances en tant que ressource humaine à part entière. La danse est souvent menée par les Achats, et pourtant il s’agit d’un vrai sujet RH. »
Les challenges selon Laetitia Vitaud
- Pour les freelances, le défi est de recomposer le package d’avantages pour arriver à une relative sécurité économique, et de retrouver du sens à leur travail, une identité et une dignité. Malgré leur nombre, ils entrent dans une ère de solitude.
- Pour les entreprises, la question du recrutement se corse. On assiste à une polarisation : les emplois peu qualifiés sont si mal payés qu’il est difficile de recruter dans les villes à forte densité de population. De l’autre côté, les talents les mieux rémunérés veulent être mobiles. Il faut donc opérer un changement de paradigme pour mieux recruter et offrir un contrat adapté à l’ouvrage. Bref, un défi de transformation de l’organisation du travail.
- Pour les pouvoirs publics, l’heure est à la réinvention de l’assurance sociale et à la mise en place d’un filet de sécurité qui permettra aux individus et aux entreprises d’affronter leurs propres défis.
Laetitia Vitaud est auteure sur le futur du travail, thème de son dernier livre ‘Du labeur à l’ouvrage’. Freelance pure souche, elle vit et travaille à Londres, et est, entre autres, rédactrice en chef du média B2B de “Welcome to the Jungle”.