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Sortir de la Gig Economy ou l’importance de distinguer deux économies

  • “Ah t’es freelance … ? Mais t’es sûr que ça va ? Tu ne cherches pas un vrai job ?
  • Non merci, je gagne 3 fois mieux ma vie qu’avant, je choisis mes clients et j’ai un agenda super flexible”
  • “Oh tu es freelance ? Génial, tu dois te sentir tellement libre, faire tout ce que tu veux tout le temps !
  • Pas tellement, c’est ce que je pensais au départ mais je n’arrive pas à trouver des clients, trop de concurrence et des missions payées au lance-pierre …”

Deux discours aux antipodes l’un de l’autre puisque le terme de freelance veut tout et rien dire à la fois ! Pour certains c’est une vraie fierté de se présenter en tant que freelance, au-delà du statut d’indépendant c’est un mouvement pour un travail plus libre.

Pour d’autres au contraire le terme de freelance est péjoratif et renvoie à une activité précaire. Bien que se considérant comme indépendants, ils évitent d’utiliser le terme de freelance qui a été galvaudé par les confusions entre Gig et Talent Economy.

En avril dernier, j’écrivais dans Maddyness l’importance de faire la différence entre la Gig Economy et la Talent Economy. Évidemment il y a une importante zone grise entre ces deux “camps” mais grossir les traits permet de mieux distinguer ces deux pans de l’économie des travailleurs à la demande. C’est aussi sur cette distinction que j’ai choisi d’ouvrir le rapport d’étude L’exploration du travail de demain, tant elle est essentielle.

  • La Gig Economy : Il s’agit littéralement de l’économie des petits boulots, ces travailleurs n’ont pas fait le choix de leur situation, ils subissent le statut d’indépendant. Les freelances de la Gig Economy vendent leur temps, ils sont sans cesse en train de chercher le prochain gig, n’ont aucune visibilité sur l’avenir, car ils travaillent sur des missions très courtes et sont très facilement remplaçables tant ils sont nombreux. La concurrence est telle que les salaires sont tirés vers le bas et cette course au moins cher est une manne pour les entreprises qui n’hésitent pas à l’exploiter. Ainsi, les revenus moyens des chauffeurs Uber ont diminué de 53 % sur les cinq dernières années alors même que le nombre de chauffeurs a été multiplié par cinq. La Gig Economy n’est pas réservée aux chauffeurs de VTC et bikers, elle peut concerner des graphistes, photographes, développeurs, rédacteurs … Soit parce qu’ils n’ont pas suffisamment de compétences techniques soit parce qu’ils ne parviennent pas à se mettre suffisamment en avant.
  • La Talent Economy : Au contraire, les freelances de la Talent Economy ont fait le choix du statut d’indépendant. Sur ce marché la sélection ne se fait pas sur les prix, mais sur les compétences. Au-delà du temps du freelance, le client achète une expertise, une solution à un problème.

Les raccourcis qui entraînent la confusion entre la Gig Economy et la Talent Economy sont problématiques pour les travailleurs des deux camps, car ils entraînent de fausses interprétations des rôles de chacun ne permettant pas de progrès significatif. Les freelances qualifiés souffrent de la mauvaise réputation de leur statut indépendant.

A New York, j’ai rencontré Ryan Waggoner, freelance depuis plus de douze ans, il a une situation très stable et depuis quelques années se verse des salaires supérieurs à 250 000 $ par an. Il préfère le titre de consultant indépendant au terme de freelance, qu’il juge connoté négativement. Une erreur de perception généralisée qui est néfaste car elle n’encourage pas les entreprises à améliorer le traitement des freelances : paiement en retard, manque de considération, définition claire d’un brief …

De l’autre côté, considérer un freelance de la Gig Economy comme un travailleur qui profite de sa liberté, est son propre patron et s’épanouit dans son indépendance c’est se voiler la face. C’est faux et cela ne permet pas d’obtenir des avancées en matière de protection et d’accompagnement.

Il y a bien évidemment un important rôle à jouer de la part nos institutions afin de remédier à cette situation. Mais sans attendre que les lois soient votées, les entreprises peuvent prendre d’excellentes initiatives.

Le rôle de la formation

La formation est une des caractéristiques communes à tous les freelances à succès, ils ne cessent de se former. Elle apparaît comme un excellent moyen pour sortir de la Gig Economy puisqu’elle permet de briser le cercle vicieux de “j’accepte n’importe quel job tant que c’est payé” pour aller vers “j’ai des compétences reconnues, je vends mon expertise”.

Une super initiative nous vient de la start-up française OpenClassrooms, qui a obtenu une bourse d’un million de dollars de la part de Google pour former les travailleurs de la Gig Economy. Concrètement, à travers ce projet Level Up, OpenClassrooms a créé des cours spécialement pour ces travailleurs et les leurs ont offerts gratuitement en les distribuant à travers les plateformes sur lesquelles ils travaillent comme Uber, Deliveroo, Stuart, Malt et d’autres.

Loin d’être un coup de communication, ils sont 5000 à s’être inscrit au projet et à se former sur des compétences telles que le développement web, le marketing digital, le community management …

Ils ont également mis en place un programme de formation en alternance à destination de ces travailleurs. Une promotion de 100 élèves a été sélectionnée pour suivre une formation diplômante reconnue par l’état. Ils sont accompagnés d’un coach pour trouver une entreprise au sein de laquelle faire leur alternance et trouver un premier emploi. Certains élèves envisagent de se lancer en freelance, de créer leur entreprise ou de décrocher un CDI grâce à leurs nouvelles compétences.

Quelques pistes pour sortir de la Gig Economy :

  • En entreprise : la reconnaissance des travailleurs et l’instauration d’un minimum : j’en parlais dans le cinquième billet du futur, le géant Google a demandé aux agences de staffing avec lesquelles il travaille de payer au moins 15 dollars de l’heure les travailleurs de la Gig Economy qu’ils emploient et qu’ils perçoivent des benefits (assurance santé, remboursement d’une partie des frais de scolarité, congés parentaux, indemnités journalières en cas d’arrêt maladie.) Quinze dollars de l’heure, c’est encore peu pour vivre aux Etats-Unis, surtout dans la Silicon Valley. C’est loin d’être la panacée pour ces travailleurs, pourtant c’est déjà un premier pas vers la reconnaissance de leur activité, parfois de leur précarité et un premier élément de réponse.
  • La formation : La seule façon de briser le cercle vicieux de la concurrence par les prix est de prendre du temps pour se former, d’acquérir de nouvelles compétences, de se spécialiser et de communiquer sur ses savoir-faire. Plus difficile à dire qu’à faire lorsque l’on est pris dans l’opérationnel du quotidien et que le besoin de trésorerie se fait sentir. Pourtant les ressources sont disponibles pour la plupart gratuitement sur internet et quelques heures par semaine suffisent à se former afin de se démarquer par ses compétences et plus par son prix et enfin pouvoir penser à long terme.
  • Apprendre de ses aînés : en tant que freelance débutant, il est malheureusement très facile de tomber dans les pièges de l’indépendance et de se retrouver dans la Gig Economy sans le vouloir. Identifiez 5 freelances qui sont bien plus seniors que vous, bien occupés et envoyez-leur un message. Demandez-leur une heure pour discuter et obtenir un retour d’expérience, qu’ils vous partagent leurs conseils. Peut-être que l’un d’entre eux deviendra votre mentor et sinon vous aurez déjà quelques pistes pour développer votre activité.

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain :

Quand la Gig Economy est condamnée, très vite ce sont les plateformes qui sont ciblées. Ici aussi, il faut faire preuve de prudence car il en existe de toutes sortes. Certaines, très sélectives et se réclamant de la Talent Economy se retrouvent sous le feu des critiques, n’ayant pourtant pas de comportement abusif. Par ailleurs, d’autres sont hybrides : Upwork par exemple compte plus d’une dizaine de millions de freelances inscrits. Une grande partie d’entre eux gonflent les rangs de la Gig Economy, pour autant certains y échappent et gagnent très bien leur vie exclusivement sur la plateforme.

Une de mes meilleures discussions de Going Freelance était avec Dave Snyder, le spécialiste mondial du SEO sur eBay. Il s’est positionné sur une super niche et trouve la totalité de ses clients sur Upwork, son palmarès est impressionnant puisque sur ses +160 missions, il a obtenu 5 étoiles (la meilleure note possible) à chacune d’entre elles.

De très bonnes pistes de réflexion concernant la protection des travailleurs des plateformes ont été formulées par l’étude de l’Institut Montaigne.

 

Auteur : Samuel Durand – Auteur de la newsletter le Billet du futur et consultant sur la transformation du travail.